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Conférence de sociologie visuelle avec André Gunthert à Bordeaux 2

Je salue bien haut l’initiative de l’association de sociologie visuelle « Vocation Sociologue«  de l’université de Bordeaux 2 pour nous avoir proposé une conférence sur « Les plateformes de partage de vidéos et de photographies, comme Dailymotion, Youtube ou Flickr, [qui] comptent aujourd’hui parmi les services les plus fréquentés sur Internet. La publication des contenus visuels en ligne est aujourd’hui en mesure de rivaliser avec les médias traditionnels en termes de puissance de diffusion. Il s’agit là d’un fait social majeur encore peu étudié par les sciences sociales contemporaines. »
La sociologie visuelle est un champ qui s’appuie sur les médias ( photos, vidéos) pour décrire des phénomènes humains.

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André Gunthert, historien des images, est venu nous présenter les usages de ces outils numériques et plates-formes de diffusion et quelques pistes de réflexion quant à ceux-ci. La conférence s’intitulait  » L’image au lieu du langage, communiquer en régime numérique ».
Je vous propose donc un résumé de la conférence, ainsi que de la discussion, au passage très intéressante, qui s’en ait suivi.

Rappel historique

Depuis moins de 5 ans, on assiste à une rencontre imprévue : celle de la photo et de la mise en ligne. C’est la quatrième grande étape de l’extension de l’accessibilité des contenus aux individus. La première étape fut l’invention de la photo elle-même, qui permettait de capturer un moment de la vie fixe à jamais. Ensuite on a inventé le procédé négatif (1850) qui permettait de dupliquer une photo puis celui de la simili-gravure pour une mise en série sur les journaux. Troisième étape : la diffusion par voie hertzienne. Aujourd’hui, c’est internet. Mais sur Internet ce ne sont plus les médias (journalistes, journaux) qui ont la main, mais des « amateurs ».
Quand le renversement s’est-il effectué ? Pour André Gunthert, il y a deux dates clés. 11 septembre 2001, destruction du world trade center. La télévision se sert pour la première fois des vidéos amateurs tournées sur le lieu même du drame. 2004, le scandale de la prison d’abou-graib en Irak, ou comment des vidéos de sévices filmés et photographiés par les Gi et diffusé sur Internet se retrouvent à la une des journaux. C’est une révolution. Il vient d’y avoir une modification dans les usages des plates formes de diffusion. Les amateurs font le contenu. On peut parler d’archives ouvertes, car les médias n’ont plus le monopole.
2004, c’est aussi la naissance de Flickr, suivi de peu de Youtube en 2005.

Les images parlent

Dans cette conférence, André Gunthert a introduit un concept-clé qui lui est fétiche : l’image parasite. Ce canal d’information qui vit à côté de celui des journaux, construits par des amateurs. Ainsi se développe deux réalités : celles diffusées par les médias et celles que diffusent les acteurs de cette même réalité. Laquelle est la bonne ? Il est clair que l’image parasite apporte plus de sincérité. Elle nous permet d’effectuer la vérification d’une information par nous-même.
André Gunthert avait laissé échappé le phénomène Tecktonik. Un jour il s’est renseigné et il est tombé sur cette vidéo :

La vidéo répond à la question que se posait André Gunthert : Qu’est ce que la Tecktonik ? Y’a-t-il autre chose à ajouter ? Aurait-il fallu interroger ce Jey-jey au sujet de la Tecktonik ? Pour l’historien, clairement non. La vidéo dit tout ce qu’elle avait à dire au sujet de la Tecktonik, et elle permet de le montrer sans les mots.

Sociologie de l’image

Faire parler la vidéo en dehors du contexte ou elle a été produite ce serait refuser le fait qu’elle contient des informations tout à faite essentielles quant à la compréhension de celle-çi. On sait pertinemment en sociologie, que lorsque un anthropologue s’investit sur un terrain d’analyse, il provoque une situation d’observation, qui peut-être différente de ce qu’il en aurait été s’il n’était pas intervenu. Cela peut fausser le naturel. c’est pour cela que ce genre de vidéo est favorisée par la culture privée et non pas par la culture institutionnelle. Malgré cela, on peut noter une certaine méthodologie historienne, car les contenus sont datées, publiées et signées.
Un autre exemple de vidéo :

Vous ne comprenez pas la vidéo et le délire de ces jeunes filles ? C’est normal, parce que d’une part la vidéo fait partie de la culture privée de ces jeunes filles et d’autre part la vidéo est destinée seulement à un groupe local (voisins, copains), qui lui sera en mesure de comprendre la vidéo, l’image… On parlera alors de connivence.L’image n’est pas un langage et n’en a pas.
Finalement ces contenus appartiennent à tout le monde et à personne en même temps, d’où une certaine iconisation de l’image soutenues bien sur par les médias (et les vendeurs de caméra et appareils photos). Et parce qu’elles sont à tout le monde ou pas, ces images se situent à mi chemin entre l’espace public et l’espace privé : dans un espace intermédiaire qu’il est encore difficile de percevoir. Si Hannah Arendt me lisait, elle se retournerait dans sa tombe.

Discussion

Une partie de la discussion a concerné l’institution qui ne sait qu’analyser le discours et pas les images. Après tout, le phénomène d’iconisation de l’image est tout à fait récent et il est normal que l’impact de celui-çi soit difficilement mesurable à l’heure actuelle. Le son et l’image vont au delà d’une langue.
Ensuite la discussion est parti sur l’amateurisme des images et le trucage. Ce qui n’est pas sans rappeler les montages à la Charlie Chaplin où il fallait mettre du son sur des images muettes. C’est cette vidéo diffusé en dernier dans la conférence qui a amené le débat sur ceci :

Mais cet amateurisme, ce trucage, ces mis en scène pousse à l’auto-apprentissage. Ainsi il n’est pas rare de voir des images ou des vidéos rendant hommage au créateur ou à la créatrice d’un certain concept. Si vous cherchez : Lassegg-Amateur sur Youtube vous verrez que c’est le cas. Il y avait aussi un cas pour Flickr, mais je ne le retrouve plus. André Gunthert souligne d’ailleurs qu’il faut 2 ans pour devenir photographe sur Flickr à cause de la pédagogie que cette plateforme provoque. On aime, on copie, on reçoit des commentaires qui nous aident à nous améliorer et on progresse.
Sur la fin, la discussion a dérivée sur du hors-sujet, qu’il n’est pas important de détailler ici.

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30 réponses sur « Conférence de sociologie visuelle avec André Gunthert à Bordeaux 2 »

Bonjour,

A propos de l’exemple de l’antropoloqgue qui modifie la situation de terrain :

La possibilité de pouvoir consulter on line des documents filmés par les acteurs mêmes de la situation me fait songer aux tentatives multiples d’artistes s’essayant à confier « aux gens » un appareil photo (p.ex). La diffusion-exposition de ces documents était alors soumises aux surprises esthétiques intéressant l’artiste ou, au pire, à la reconduction des shémas existants (intégrés…) par les acteurs. Dans la vidéo Tektonic montrée ici, on peut supposer que ni les codes d’une représentation (déjà) instituée de ce mouvement ni la connaissance de « l’acteur » de son propre rôle rendent ce film en quelque sorte autenthique.

Je crois comprendre que c’est ce moment qui intéresse l’historien. La production d’un document pur et autogénéré.

@Gis : Je me doutais qu’on allait me sortir l’argument du mac ^^
@dd2g : C’est tout à fait exact. Je tiens à préciser que Jey-jey est l’un des premiers (si ce n’est le premier) à s’être filmé pour montrer ce qu’était la Tecktonik.

Très sympa, j’aurais voulu y être. Comme tu le sais, je suis en com’ et nous avons des matière comme la sémiologie et la sociologie de la communication (Eric Maigret en prof :p). D’après ce que j’ai compris c’est entre les deux cette conférence, bref ça devait être super intéressant :p!
Pour en revenir à un petit concept : l’image parasite, celle-ci nous semble plus réel car souvent il n’y pas « d’intention de communication de l’auteur ». Je m’explique. Un média de masse est un construit, le journal est construit et il veut faire passer un message (la plupart du temps le message c’est t caché la construction de celui-ci avec la fameuse notion de transparence) .
Alors que Robert qui film Jean en train de conduire le tracteur n’a pas vraiment d’intention de communiquer si ce n’est montrer Jean conduisant le tracteur. Le « message parasite » est donc moins construit donc plus authentique. Le manque de notion de construction de l’image (mal cadré, pixellisé, son à chié…etc) contribue à l’authenticité de message. Le problème qui se pose alors c’est que ces messages parasites ne permettent pas une décryptage de la situation clair.
Prend l’exemple d’un gros facho’ qui veut te prouver par A+Z qu’il y’a un racisme antifrançais, simple il ira sur youtube et te montrera un blanc se faire frapper. Les « preuves » sont là mais pas le décryptage nécessaire… Je trouve que l’on tombe un peu dans une idéalisation de l’image brut… une sorte de néo-école d’Adorno qui prône les images de la « masse » face au mass média qui endoctrine.

En tout cas super bon billet 🙂

@Powanono : C’est pour cela qu’il ne faut pas rejeter les deux réalités ( médias et amateurs). Au contraire il faut suivre les deux, et se faire sa propre opinion à partir des informations que l’on recoit.

@julien : On a parfois de sacrées surprises. Celle-çi était excellente 😉

Voilà qui est passionnant !

Youtube ne date que de 2005 ?! J’ai l’impression que ça remonte à bien plus longtemps que ça… aaah les merveilles de l’avancée technologique du monde moderne… tout vieilli trop subitement…

Malheureusement non :/. Faute d’inspiration et faute de suivi si je peux dire. Il faudrait que l’association « Vocation Sociologie » ait un blog dédié… ce serait plus facile à suivre.

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